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Fédération des Archéologues du Talou

et des Régions Avoisinantes

Les phénomènes climatiques à l'époque mérovingienne

     Nous vivons des temps fortement marqués par la climatologie. Dès que des dérèglement sont constatés nos contemporains sont prompts à accuser les scientifiques et la sur-expension industrielle, boucs émissaires providentiels pour endosser la responsabilité du trou dans la couche d'ozone, des troubles dans le déroulement logique des saison, des chamboulements dévastateurs du tristement célèbre el niño, du tsunami, etc. Certes les relations cause à effet peuvent être mises en évidence. Les pluies acides par exemple ne sont pas issues d'un agencement naturel.
      Cependant à l'époque mérovingienne, les bouleversements climatiques mettaient déjà l'homme à rude épreuve. Le rythme immuable des saisons se voyait parfois décalé, entraînant l'incompréhension du laboureur et l'étonnement des populations au devenir si étroitement lié à la terre. C'est l'Eglise qui se chargeait alors d'interpréter l'inexplicable. Dieu dispensait ses largesses aux chrétiens à travers les bienfaits de la nature. Au contraire, lorsque les hommes étaient frappés d'une quelconque calamité, c'était une manifestation de la colère divine à l'encontre des pécheurs.
    Les écrits des chroniqueurs mérovingiens ne manquent pas de relater les bouleversements climatiques qui survinrent à maintes reprises durant la dynastie. Il convient de les détailler successivement dans un premier temps. Force de constater également que cette époque fut très souvent troublée par des guerres intestines entre les souverains avides de pouvoir, rongés par la jalousie ou entraînés dans les querelles de succession. Il est donc intéressant, dans un deuxième temps, de constater l'influence qu'a eu la météorologie sur la stratégie menée par les belligérants.

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Les bouleversements climatiques


     La vie quotidienne de la paysannerie à l'époque mérovingienne dépendait principalement des cultures et de l'élevage. Les tâches rustiques devaient se dérouler au gré des caprices du temps. Il arrivait cependant que de véritables catastrophes viennent ravager des régions entières, décimer des villages et des cités. Au contraire, s'intercalaient des périodes fastes où la nature se montrait propice et généreuse pour le plus grand bonheur de ces gens simples, heureux de voir atténué leur labeur journalier.


 
Les tremblements de terre​
 

     Même si ce sont des phénomènes géologiques et non purement climatiques, ils ont suffisamment marqué les mérovingiens pour être cités ici.
A de multiples reprises, de violentes secousses furent ressenties en France, au point que les chroniqueurs de l'époque en firent mention. Ce fut le cas en novembre 456, ainsi qu'en Auvergne en 485. La terre trembla légèrement en Anjou en décembre 584 sous le règne de Clotaire II.
     Mais les plus importantes secousses sismiques semblent avoir eu lieu en l'an 575, cinquième année du règne de Childebert II. La région de Tours fut sérieusement perturbée. Mais c'est la ville de Bordeaux qui fut la plus ébranlée. Ses remparts faillirent être renversés, tant le tremblement de terre était intense. La population effrayée s'empressa de sortir de la citée par peur d'être engloutie par elle. Un grand nombre d'habitants se retirèrent dans les villes voisines. Cet important phénomène fut ressenti jusqu'en Espagne mais avec moins de force.
     Cependant, d'énormes rochers se détachèrent dans les régions montagneuses des Pyrénées et écrasèrent dans leur chute un bon nombre d'hommes ainsi que des troupeaux entiers de bétail. Dans les environs de Bordeaux, les secousses provoquèrent des incendies qui ravagèrent entièrement des récoltes et des villages. Non seulement ceux qui survécurent à ce drame furent ils profondément choqués mais en plus des épidémies s'ensuivirent, multipliant encore le nombre de victimes.

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Les inondations​


     
Si les égyptiens de l'époque pharaonique fêtaient l'arrivée des crues du Nil il n'en était pas de même pour les mérovingiens qui ont souvent eu à déplorer les dégâts causés par la pluviométrie trop importante, causant ainsi un gonflement des fleuves et rivières qui noyaient les cultures.

Ce fut le cas en l'an 584. Des témoignages écrits rapportent qu'il y a eu des pluies si abondantes que tous les fleuves débordèrent et couvrirent les campagnes voisines. Les productions furent gâtées en grande partie. Cette récession de ressources vivrières devait avoir des conséquences particulièrement dramatiques à l'époque.
     D'autres récits citent également un drame qui eut lieu la huitième année du règne de Childebert II ( 570-596). Le 31 janvier 578, un dimanche pour être précis, par un temps sombre et pluvieux, un énorme orage retentit à l'heure des matines. Le ciel se déchaîna tellement qu'il y eut des inondations extraordinaires. La Seine et la Marne se répandirent dans les environs de Paris au point qu'il y eut plusieurs naufrages.
     Il semble que le phénomène fut d'une ampleur incomparable en l'an 575. Il y eut en Auvergne une inondation qui causa de grands ravages. La pluie avait duré douze jours consécutifs. La région entière de la Limagne fut tellement couverte d'eau qu'un grand nombre de cultivateurs ne purent ensemencer leurs terres. La Loire, l'Allier et les autres affluents de ces rivières s'enflèrent considérablement au point qu'ils franchirent les bornes que jusqu'alors ils n'avaient jamais dépassées. Il y eut une perte énorme de bétail noyé par les débordements fluviaux. La plupart des moissons ne purent avoir lieu dans les champs engloutis par les eaux. Des édifices en grand nombre furent également renversés par les flots ravageurs.
     En même temps, le Rhône et la Saône sortirent de leurs lits et causèrent de grands dommages aux populations avoisinantes. Les fleuves renversèrent une partie des murailles de la ville de Lyon.

 

Les saisons


     Que de fois entendons nous les jérémiades des insatisfaits se plaignant que le temps est détraqué, qu'il n'y a plus de saisons… Le phénomène n'est absolument pas contemporain. Durant les temps barbares, l'on constatait en général que les changements saisonniers étaient normalement marqués par les mutations de l'environnement, l'accroissement ou la baisse des températures, l'éclosion des bourgeons ou la chute des feuilles. Il arrivait cependant que ces métamorphoses soi-disant immuables fassent défaut, et que la nature se montre capricieuse. Parfois propices, les changements pouvaient cependant entraîner d'énormes difficultés dans le monde paysan et causer la disette, voire la famine.
     Pour en revenir aux grandes inondations de l'année 575 précédemment décrites, les récits de l'époque disent également qu'une fois que les pluies eurent cessées et que les cours d'eau eurent repris leur niveau normal, les arbres fleurirent de nouveau, quoique ce fût au mois de Septembre.
     Dans le même ordre d'idée, la septième année du règne de Childebert II ( année 577.) le mois de Janvier fut plein de surprises. Tout d'abord il y eut des pluies extraordinaires accompagnées de violents orages avec force coups de tonnerre et éclairs éblouissants. Il s'en suivit une douceur du temps incompréhensible au point que l'on vit des fleurs aux arbres.
     L'an de grâce 584 fut surprenant dans ses contrastes. Les saisons se succédèrent dans le plus grand des paradoxes suscitant l'ébahissement de tous. En effet, les mois du printemps et de l'été furent tellement pluvieux qu'on se croyait en hiver. A contrario, en décembre, les paysans eurent la joie de voir les ceps de vigne se couvrir de feuilles nouvelles avec des raisins formés, tandis que des fleurs poussaient aux arbres, tant le climat était doux.
     L'hiver 547, lui, fut excessivement rigoureux. Les témoignages de l'époque relatent que les rivières durcies par la gelée offraient des routes aussi solides que la terre ferme. Il est même dit que les oiseaux, pressés par le froid et la faim, se laissaient prendre à la main, sans qu'il fut besoin de leur tendre un piège.
L'époque mérovingienne fut largement troublée par les guerres opposant les dirigeants des multiples royaumes qui morcelaient alors le territoire. Les phénomènes climatiques n'étaient pas étrangers au bon déroulement stratégique des conflits qui éclataient entre les guerriers barbares.

 

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Météorologie et stratégie​
 

     En ces temps où l'on guerroyait très fréquemment il arrivait souvent que la météorologie favorise ou, au contraire, contrarie l'un ou l'autre des belligérants. Selon leur bonne ou mauvaise fortune les mérovingiens devaient considérer que les manifestations de la nature n'étaient autre chose que le jugement de Dieu.
     Généralement, les soldats en guerre estimaient qu'ils souffraient suffisamment des combats eux-mêmes sans en plus avoir à subir les rigueurs des grands froids ou une canicule étouffante. Aussi le choix des saisons pour laisser éclater les conflits avait il son importance.

 

Les saisons​
 

     Mieux valait combattre les beaux jours. La longueur des journées et la douceur des températures concordaient pour assurer un minimum de bonnes conditions lors des conflits. L'abondance de la végétation à partir du printemps avait également son importance. Il était plus aisé de surprendre l'ennemi sous couvert des frondaisons. Le primesaut printanier et l'exubérance estivale favorisaient l'entretien des troupes. Lorsque les vergers regorgeaient de fruits, que les potagers fournissaient leurs productions à plein rendement, que les troupeaux s'accroissaient, la question de l'intendance ne se posait plus. Le ravitaillement d'une armée était assuré sans crainte de pénurie.
     Cependant, il arrivait que des fins stratèges fassent fi des usages communs et contrecarrent la logique afin d'user de l'effet de surprise sur l'adversaire. Ce fut le cas d'Arbogaste, petit roi franc qui régna au début du cinquième siècle, sous l'empereur Valentinien. Il voulait combattre ses ennemis jurés Marcomer et Sunnon. Il se rendit pour cela à Trèves au plus fort de l'hiver avec ses soldats. Il était intimement persuadé qu'il pourrait ainsi pénétrer sans danger en territoire hostile. Ce calcul lui réussit, car Sunnon et Marcomer virent leurs retraites incendiées. Arbogaste profita que les forêts fussent dépouillées de leurs feuilles en cette saison, sachant que les frondaisons ne pourraient cacher une embuscade adverse.

 

Les crues​
 

     La surabondance des pluies provoqua maintes fois un débordement important des cours d'eau. Il en résultait alors un bouleversement durable des paysages. Cette modification temporaire de la géographie paralysait les déplacements. C'est ainsi que la stratégie de certains belligérants fut rendue inopérante, les troupes ne pouvant se mettre en mouvement dans des régions inondées. La fatalité condamnait l'armée à l'immobilisme. Cependant les mérovingiens expliquaient souvent les contretemps météorologiques par la manifestation de l'ire divine. Ils s'en remettaient alors à la volonté de Dieu ou bien cherchaient à modifier le cours des choses par la prière afin de s'attirer les bonnes grâces du " Très Haut ".
     L'évêque Grégoire de Tours relate dans ses écris un tel événement qui survint, selon ses dires, en l'an 507. A l'époque, Clovis ( 466-511) partit combattre Alaric roi des goths en Poitou. Lorsque son armée arriva sur les bords de la Vienne, elle ne sut comment traverser cet obstacle naturel, car des pluies considérables l'avaient fait déborder. La foi du monarque devait sauver les guerriers enlisés dans cette situation apparemment insurmontable. Toute la nuit durant, Clovis se mit en prière. Le lendemain, le miracle survint. Les soldats virent une biche traverser la rivière, leur indiquant un gué dont ils ne soupçonnaient même pas l'existence. Ils purent donc se remettre en marche en rendant grâce à Dieu.

 

Les tempêtes​
 

     Nous avons vu que le choix des saisons avait son importance dans l'élaboration des plans de batailles. Mais les exemples ne manquent pas non plus pour montrer que les caprices du temps allaient souvent à l'encontre des projets des hommes. Ainsi, les campagnes guerrières ne se déroulaient elles pas toujours suivant les prévisions et les stratégies savamment élaborées. Il n'était pas rare qu'un brusque changement météorologique vienne contrecarrer des opérations qui s'annonçaient sous les meilleures augures. Là encore, pensait on que c'était la volonté de Dieu qui se manifestait dans le déchaînement des éléments.
     Il est un récit de ces temps barbares qui raconte la guerre civile opposant Childebert ( 495-558.) allié à son neveu Théodebert et le souverain Clotaire ( 497-561). La veille de la bataille décisive, le sort des belligérants semblait déjà fixé. Les rois coalisés cernaient la forêt où s'était réfugié Clotaire. Ils projetaient d'attaquer le lendemain leur ennemi qui semblait perdu d'avance. Au point du jour, ils étaient prêts à agir, bien décidés à en finir avec leur victime.
     Cependant, une terrible tempête se leva soudainement sur le champ des assiégeants. Un vent furieux renversa les tentes, bouleversant tout sous ses rafales. Le chroniqueur cite que le tonnerre grondait, que les éclairs brillaient sans interruption. Brusquement une énorme pluie de grêle se mit à tomber. Les grêlons s'abattaient tels des pierres des nuages amoncelés, semant la panique dans le camp de Théodebert. Les soldats, couchés face contre terre, n'avaient d'autre abri que leurs boucliers pour lutter contre ce déluge qui les frappait. Dans cette posture peu honorable, ils tremblaient encore d'être brûlés par le feu du ciel. Les chevaux paniqués se dispersèrent au loin et un grand nombre d'entre eux ne put être retrouvés. Les deux rois agresseurs, étendus à terre comme les autres, repentants d'avoir entrepris cette guerre impie, demandèrent pardon à Dieu qui manifestait sa colère de façon si éclatante car, paradoxalement, il n'était pas tombé une goutte de pluie sur le camp de Clotaire. Sitôt la tornade passée, la paix fut conclue.

 

Les vents​
 

     Les conflits à l'époque mérovingienne ne se passaient pas que sur terre. L'utilisation des navires permettait des attaques sur les côtes. Mais là se posait le problème des prévisions météorologiques marines qui faisaient alors défaut. La navigation était très approximative et aléatoire. Les incertitudes du temps ne mettaient jamais les marins à l'abri d'une tempête. L'océan était une source de crainte qui obligeait les navigateurs à ne jamais trop s'éloigner des rivages ou des ports. Les bateaux à voile étaient à la merci des caprices du vent. La durée des parcours maritimes n'était jamais certaine. Certains peuples étaient plus à même de maîtriser les subtilités de la navigation. L'utilisation des navires était pour eux un atout primordial pour le transport des guerriers.      

     Cependant, aussi excellents marins fussent ils, ils dépendaient totalement du bon vouloir d'Eole* dans leur progression.

En l'an 515, une flotte de guerre Danoise, menée par son souverain Chochilach, attaqua par la mer les côtes du pays franc. Ils firent des incursions dans le royaume de Théodoric. Ils pillèrent les villages et capturèrent les habitants afin de les mener en esclavage. Rembarqués à bords de leurs vaisseaux, ils eurent du mal à partir. Les navires étaient surchargés de captifs et de butin. Les danois durent donc attendre des vents favorables pour quitter le rivage. Cela permit aux francs de s'organiser et de prévoir des représailles contre les envahisseurs. Le vent finit par se lever. La flotte du roi Théodoric, dirigée par son fils Théodebert se lança à la poursuite des danois. Ils n'eurent pas de mal à rattraper les bateaux ralentis par leur cargaison. La bataille navale était inévitable. Elle tourna vite à l'avantage des francs. Durant les combats, le chef Danois Chochilach fut tué. Ce fut une victoire éclatante pour les hommes de Théodebert qui récupérèrent la totalité du butin.
 

 

 

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     Fi donc des idées reçues sur les dérèglements fatalistes de la météorologie contemporaine. Laissons à Nostradamus les cataclysmes divinatoires et à l'Eglise du passé les anathèmes apocalyptiques lorsque survient la " Tempête du siècle " ou l'ouragan dévastateur. Chaque génération semble vouloir souligner le caractère exceptionnel de ce qu'elle a vécu. Seulement, les avatars climatiques ne cessent de se succéder au cours des époques, montrant une certaine immuabilité de ces catastrophes, sans qu'il ne soit nécessaire d'avoir recours à des explicatifs surnaturels.

 

 

 

Lionel FAUGERON

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